dimanche 28 août 2011

Géographie sacrée du Jarez


vue ancienne de Ste Croix
Si nous sommes tous disposés à croire aux géants, aux lutins et aux fées, à voir dans les romans du Graal des guides précieux et précis pour retrouver le Saint Vaissel, nous avouons notre totale incrédulité devant l'existence de cette divinité rationaliste que l'on a baptisée ‘Hasard’. L'Histoire n'ayant officiellement plus de sens depuis que les portes - surtout celle de Brandebourg - s'ouvrent dans les deux sens, tout ne serait donc que les fruits des amours monstrueux de Dame Coïncidence Fortuite et du Sieur Parfait Hasard.
Tout : hommes, lieux, événements, sortirait vierge et amnésique d'un chaos non plus primordial mais permanent. Et, au gré de l'idéologie à la mode, tout s'expliquerait par le jeu mécanique des rapports de force entre les agents socio-économiques, le déterminisme des lois de la génétique ou l'influence des pulsions inconscientes. Pour qui veut bien se donner la peine de jeter un oeil sur les textes et les cartes, le monde apparaîtra bien plus complexe et plus riche de significations cachées que ne le dépeignent théories et équations. Il n'est pas un lieu, aussi modeste fût-il, qui ne soit porteur d'un sens. Sens dont l'histoire et la géographie sont, tout à la fois, la cause et l'effet.
Mais comme le grand défaut des théories est justement de rester très théorique passons, si vous le voulez bien, aux "travaux pratiques". Notre travail, simple ébauche de la géographie sacrée d'une région, n'a d'autre ambition que de tracer quelques grands axes, d'entrouvrir quelques portes et d'approcher du Centre. Le guide s'est peut-être fourvoyé dans quelques impasses, il a aussi probablement tourné en rond en croyant suivre un méridien; mais, de bonne foi, il pense aussi avoir ouvert des pistes à ceux que tenteront la Queste.

Le Jarez : une antique terre de Gargantua
Comme les régions voisines du Forez, du Dauphiné et la vallée du Rhône, le Jarez a été parcouru autrefois en tous sens par une antique divinité connue aujourd'hui sous le nom de Gargantua. Le géant popularisé par les écrits de Rabelais n'est, en fin de compte, que l'ultime avatar d'un "dieu" du néolithique. Il se pourrait même que le nom de Jarez dérive directement de celui du dieu. En effet la racine JAR nous renvoie aux racines GARgun (ancien gascon), GARra (gaulois) et GARd (francisque) donc finalement à la racine dont est issu le phonème de base, G.R.G. : Garg, Gorg, Jarg, Jorg, Grig, Gourg, Gerg, Geirg, Gug, Guig... qui a donné le nom de l'ancienne divinité cachée sous l'aspect du géant Gargantua.
Ce qui semble - à priori - une hypothèse tirée non pas par la racine des cheveux, mais par celle des noms, est pourtant amplement étayée par la toponymie du Jarez. Celle-ci nous en fournit abondamment la confirmation :
- Les toponymes la Grande Jarlée et le Plateau des Jarlées sont construits sur la racine JAR/GAR. Le lieu-dit Gourdéza relève pour sa part d'une racine GAR/GOUR.
- Au nord de Ste-Croix-en-Jarez on trouve : le hameau de Marlin, la Croix de Marlin, les Roches de Marlin. A St-Paul-en-Jarez c'est le château de Grange Merlin et la Merlanchonnière qui se signalent à notre attention. Il faut en effet préciser que dans les chroniques gargantuines l'Enchanteur Merlin est présenté comme le créateur de Gargantua.
- Le site du Grand Roussilla nous permet d'aborder les toponymes basés sur le thème gargantuin du sang, de la couleur rouge. (1).
- A Rive-de-Gier, le site de Bourbouillon nous offre l'occasion de découvrir le thème "Boui", que l'on retrouve dans les mots, de sens évidemment bien différents, mais de prononciation très voisine : boue, beu, bo, bourbe, botte, butte, bouille et bouillie. Mots qui participent à une véritable cabale phonétique dont le décryptage permettra d'en savoir plus sur l'énigmatique géant. Mais ce toponyme de Bourbouillon est également lié à l'Apollon-Borvo, dieu guérisseur des sources, avec lequel Gargantua partage certaines fonctions.
- Avec le Mont Pilat, Pélussin, le Crêt de Peillouté et le Crêt Pala apparaît le thème "Pal" ou "Pel", que l'on retrouve dans les palets, pelles, pèlerins, palais...
- Les Trois Dents font référence à l'anatomie du géant. On en rencontre souvent de plus explicites encore avec des menhirs désignés sous l'appellation de "petit doigt de Gargantua".

Les Trois Dents... sommets du Mont Pilat
- le Purgatoire dans la Forêt de Pélussin, comme le Bois Paradis, renvoient au rôle de passeur d'âmes qu'assumait Gargantua en tant que divinité chthonienne.
- Les lieux-dits Bois de Colombet, Hameau de Colombet sont liés aux colombes, c'est-à-dire aux fées. Et comme Gargantua est un géant-fée, ils sont parfaitement à leur place dans notre liste. (2)
- On rencontre également de nombreux toponymes construits autour du loup : Chantaloup, Combes des Loups, Trou aux Loups, etc.Gargantua est souvent montré en conflit avec les chiens et les loups, en butte à leurs attaques. Ce qui peut s'expliquer astrologiquement et rituellement. Si on en croit Rabelais - et pourquoi ne pas le croire ? - Gargantua serait né un 3 février. II serait donc ainsi en "opposition" avec la période de la Canicule où Sirius, l'étoile du Chien, brille de tous ses feux.
L'importance de la toponymie gargantuine dans le Jarez nous permet d'avancer dès maintenant l'hypothèse que la région est sacrée. Gargantua est un modeleur du paysage qu'il parcourt en tous sens. Il ne crée pas : il donne une forme, une signification à la Terre. Marquée par son empreinte -et pas uniquement celle de son pied - elle est ainsi sacralisée, acquérant le statut de sanctuaire puisque relevant maintenant d'une géographie sacrée où tout a désormais un nom et un sens (3).
Nous allons maintenant nous consacrer à décrypter sur le terrain cette géographie sacrée occultée par les ans et les hommes. Et comme toute Quête est celle du Centre, lançons-nous à la recherche de l'omphalos régional autour duquel s'organisait (et s'organise toujours) la géographie sacrée du Jarez.

Le Grand Roussilla : omphalos "régional"
Comme nous savons - à peu près - où nous allons, nous avons une hypothèse toute prête. La voici : l'omphalos régional ne peut être que le Grand Roussilla que décrit avec assez de précision le texte de 1792 du "Journal des amis de littérature". (4). Cette description nous montre :
1°) L'existence d'une puissante forteresse qui est la résidence d'un personnage ou d'un "pouvoir" redoutable puisqu'elle est baptisée "château du Prince". Ce "château du Prince" est le siège de l'autorité régnant sur la région. Le choix du site n'est nullement indiffèrent comme nous allons le voir, puisque ce pouvoir temporel s'appuie sur le pouvoir spirituel et magique constitué par le tumulus-"tombeau du roi".
2°) A cette forteresse est associé le souvenir de "merveilles et de cruautés" Probablement l'écho d'importantes cérémonies religieuses et de sanglants rites celtes, voire néolithiques comme peuvent le laisser supposer le monument mégalithique et la lance de silex trouvée sur place. Cela sans même évoquer l'ombre de Gargantua qui hantait probablement le Jarez bien avant l'arrivée des Celtes. Ceux-ci se contentèrent souvent d'utiliser les anciens sanctuaires pour y perpétuer leurs rites, en y incluant des usages autochtones.

3°) Ces rites sont liés à la présence d'un sanctuaire particulièrement vénéré et redoutable. Ce sanctuaire se développe autour d'un tumulus qui est en fait le "tombeau du roi". Roi, héros, qui de l'au-delà où il a acquis le statut de divinité tutélaire, assure la paix et la prospérité à son peuple. Il s'agit d'une "montjoie" déformation du terme franc mundgawi signifiant "protège-pays", c'est-à-dire du tertre abritant la dépouille et souvent uniquement la tête sacralisée du roi-héros devenu dieu protecteur (5). Et, comme à Tara dans le royaume central de Meath au cœur de l'Irlande ou au Lendit dionysien à l'emplacement de l'omphalos des Gaules, on retrouve les mêmes éléments constitutifs du sanctuaire : un tumulus tombe-demeure de la divinité tutélaire, un perron c'est-à-dire une grosse pierre plate sur laquelle se déroulent d'importants rituels comme nous allons le voir sous peu, une "plaine" où, à certaines périodes déterminées, peut se rassembler une foule, et une hauteur, un "montagne" sacrée ( ici la hauteur qui surplombe les ruines du Grand Roussilla et dont nous démontrerons un peu plus loin qu'il s'agit du mont Marlin).
Ce qu'il reste d'une source du vieux sanctuaire de Roussilla
4°) Ce sanctuaire est sous la protection de deux vierges, filles de la Déesse-Mère. En effet une des deux pierres du sanctuaire est dédiée à Sainte Margue(rite) et à son dragon. Or Marguerite - fêtée le 20 juillet à l'entrée de la Canicule - est "avalée par le dragon" ainsi qu'il est dit dans la "Légende dorée" de Jacques de Voragine. Or cette Sainte Marguerite n'est que le décalque - ou plutôt le camouflage - de la parèdre du Mars celtique. Celui-ci est encore connu sous le nom fonctionnel de Taranis, maître du taureau et du tonnerre et il sera christianisé à son tour sous le nom de Saint Jacques le Majeur. Fêté le 25 juillet, donc pendant la Canicule, il est appelé Boanergès, c'est-à-dire "Fils du Tonnerre"... (6) Le dragon a aussi probablement un rapport avec la Nwywre des celtes, les forces subtiles du sol, et la légende de Merlin. On peut rapidement évoquer ici l'histoire des deux dragons entravant la construction de la Tour du roi Vortigern et le nom du père du roi Arthur : Uther Pendragon. (7) II y a aussi un rapport très étroit avec Mélusine, la fée-serpente ailée, mais comme disait le Frère Kipling, c'est une autre histoire sur laquelle nous reviendrons longuement une autre fois. Le sanctuaire est particulièrement sacré car il permet l'intronisation du nouveau roi par le moyen d'un rituel qui est l'exacte copie de celui pratiqué jadis à Tara, la capitale du royaume central de Meath dans l'Irlande celte. La fameuse pierre est connue dans les traditions galloises et irlandaises comme étant la pierre de souveraineté, le "siège périlleux". L'identité entre les deux rituels est totale. Le texte de 1792 qui s'appuie sur des légendes et des traditions locales nomme la pierre qui parle pour reconnaître le vrai souverain "la liafail parlante". Et la pierre de Tara s'appelait la Lia Fail... Puisque nous avons abordé la légende arthurienne, continuons sur notre lancée. Carliste, la forteresse du roi Arthur sur le mur d'Hadrien en Ecosse, était appelée "le Château del perron" car y existait une pierre - un perron - nommée "la Pierre de l'Honneur". Comme la pierre de Scone c'était un "siège périlleux" où Lancelot fut mis à l'épreuve. Croire à une coïncidence revient à croire au miracle, ce qui est pourtant l'hérésie suprême pour un rationaliste.
5°) II y a ainsi une similitude remarquable avec Tara en Irlande et aussi avec le site de l'omphalos des Gaules au Lendit, au nord de Paris, où l'on procédait tous les ans à l'élection du Grand Druide (ou plus exactement, comme nous le pensons, à l'intronisation, à la "confirmation" annuelle de l'autorité d'un roi-prêtre, d'un roi sacré). Cela nous autorise à affirmer que le Grand Roussilla était l'omphalos de plusieurs peuples gaulois et que s'y déroulaient les cérémonies d'intronisation des "rois" assurant le "pouvoir" sur les peuples dont les territoires étaient limitrophes au sanctuaire. Comme pour le royaume de Meath en Irlande, il est fort probable que le royaume autour du Grand Roussilla fut constitué avec des portions des territoires des peuples environnants. De par sa position centrale et sa faible étendue, ce "royaume central" ne présentait aucun risque d'hégémonie politique, militaire ou économique pour ses voisins, mais constituait leur centre de gravité géographique et surtout spirituel. C'est là que se tenaient les assemblées annuelles des druides et des autorités politiques où l'on réglait tous les litiges et affaires de l'année. Le Grand Roussilla semble avoir été la "capitale", c'est-à-dire le centre, le coeur de ce royaume central d'où émanait une autorité qui s'exerçait sur les peuples voisins. Le Père Guy Coquillat (8) explique que le Grand Roussilla (que nous identifions à Ste-Croix-en-Jarez comme nous l'expliquerons plus loin) était l'omphalos de cette partie de la Gaule marquant les limites de plusieurs peuples celtes : "... L'usage du droit écrit commence de ce lieu du Castel Crux (il s'agit de la forteresse de Ste-Croix-en-Jarez) qui est en ce pai's, vers le septentrion qui est coutumier contre le mydi qui est droit écrit, à une croix qui est prez de là, venant du Bourbonois duque là mesmes est faite séparation d'avec le Fores en la pierre de cette croix y avoit plusieurs mots gravez."
Tentons maintenant de vérifier notre hypothèse sur la carte. Notre "royaume central" est bien à la frontière des Allobroges (à l'est), des Segusiaves (au nord), des Vellaves (à l'ouest) et des Helviens (au sud). Ferdinand Lot (9), en son temps, avait déjà constaté combien Vienne, la capitale sur le Rhône des Allobroges, était peu centrale. Elle était en effet à l'extrémité occidentale de leur vaste territoire, ce qui n'était pas fait pour améliorer la cohésion et la défense de leur royaume. Mais cette anomalie s'explique beaucoup mieux si l'on envisage que cette implantation était délibérée de la part des Allobroges qui espéraient probablement capter à leur profit une part du rayonnement du Grand Roussilla et également le surveiller de très près.

Identification du site du Grand Roussilla
Nous avançons maintenant l'hypothèse que le site du Grand Roussilla et le site de Sainte-Croix ne font qu'un. Le site de Ste-Croix-en-Jarez n'a nullement été choisi au hasard pour l'implantation d'une Chartreuse destinée à être en vérité un haut lieu abritant d'insignes "reliques". Comme nous aurons l'occasion d'en reparler, les notions d'onîphalos, de hauts lieux, d'axes et de méridiens ont une importance capitale - à notre avis - dans cette affaire. A une conception sacrée de la royauté où la notion de centre est fondamentale, correspondent nécessairement des sanctuaires établis en tenant le plus grand compte de cette réalité. La royauté légitime ne peut se réfugier et se maintenir qu'à l'abri de hauts lieux qui sont autant de centres du monde.
Tout d'abord nous remarquons la grande similitude entre le toponyme du Grand Roussilla et le nom de la famille des Roussillon. Il est assez difficile de croire au hasard. D'autant que le nom de Roussillon dérive de Russeolus, autrefois Urseolus (10). Avec Urseolus apparaît la racine ursus, artos en celte. Après l'omphalos, voilà maintenant l'axe du monde, le méridien, puisque l'ours fait implicitement référence à la Grande Ourse et donc à l'Etoile Polaire, pivot immobile de l'univers. Arthur, blessé, est emmené sur l’île d'Avalon que l'historienne Norma Lorre Goodrich identifie, au terme d'une longue enquête serrée et argumentée, avec le royaume du Roi Pêcheur (le fameux royaume du Graal) qui n'est autre que l'île de Man (11). Or Man était le "nombril de la mer", donc là aussi un omphalos autour duquel gravitait tout un monde.
Revenons à Russeolus. Le Père Guy Coquillat (12) " explique que c'est Urseolus qui a laissé son nom au castel qui porte, sur les anciens titres, le nom de "Villa Russeolus". Le château-berceau des Roussillon porte donc le nom de la famille.
Si l'on en croit la description du "Journal des amis de littérature", on trouve au Grand Roussilla "des ruines grandes par le volume des matériaux et leur élévation". Le même texte situe cette forteresse sur les terres de Pavezin. Des notes manuscrites (13) parlent de Ste-Croix-en-Jarez comme d'"un plateau présentant la forme d'un quadrilatère irrégulier supporté presque de tous côtés par une masse d'énormes rochers, remparts naturels qui doublaient la force de ce point de défense et dont la hauteur, du côté de l'orient s'élève de six hauteurs d'hommes."
La description de ces deux sites présente - une fois encore - de remarquables similitudes que renforce encore l'affirmation du texte de 1792 annonçant que le Grand Roussilla était aussi nommé "château du Prince". De quel prince peut-il s'agir sinon du "roi" ayant autorité sur la région ? Or il apparaît que, "dès la fin de la conquête romaine, certaines régions du Pilât, de Vienne, de la vallée du Gier seront sous l'autorité des Urseolus." Urseolus qui se transforme en Russeolus, puis en Roussillon... La suite du texte de 1792 nous offre d'importants détails pour faciliter la localisation : "au-dessus de ces ruines sont des travaux faits, à une époque fort ancienne, sur une mine qui parait avoir été en grande exploitation et excavée au moyen du feu. Ainsi il s'agit d'une hauteur surplombant la forteresse et siège d'une importante activité minière. Le tumulus de la tombe du roi est ; "entre la mine et l'eau détenue on trouve deux blocs de roches dressés et inclinés l'un à l'autre". Notre montjoie-mundgawi est donc d'après le texte (et ce que nous savons de l'implantation d'autres sanctuaires du même type) situé entre la hauteur abritant la mine et l'eau détenue. Qu'est cette "eau détenue" ? Ne faut-il pas comprendre l'expression comme une eau retenue, détournée pour alimenter des fossés (à usage militaire, mais aussi marquant la limite d'un sanctuaire sacré), un réseau hydraulique (assurant l'approvisionnement en eau des habitants du château du Prince, mais aussi servant à des rites religieux) ? A Ste-Croix-en-Jarez nous trouvons le ruisseau de Boissieux et le Couzon que l'on a utilisés autrefois pour alimenter fossés et réseau hydraulique.

vue de Pavezin... au-dessus du Gd Roussilla
Où situer maintenant le tumulus-sanctuaire "protège-pays" à Ste-Croix-en-Jarez ? N'étant pas avare de suppositions nous avançons l'hypothèse suivante : à proximité immédiate du cimetière juste au nord de la Chartreuse au bord du Boissieux. Il serait d'ailleurs intéressant de connaître l'ancienneté de ce cimetière. En effet, à l'époque de la christianisation de la Gaule, on a souvent installé cimetières et oratoires chrétiens à proximité immédiate d'antiques sanctuaires païens. Quoi de plus tentant que de vouloir détourner la vénération portée à l'antique "protège-pays" en en faisant un sanctuaire chrétien où reposent les dépouilles de saints ? Très souvent aussi on note l'installation d'une abbaye, d'un monastère sur les lieux, comme ce fût le cas à Saint-Denis où l'abbaye récupéra à son profit l'aura du sanctuaire païen du Lendit. Dans cette hypothèse la hauteur s'élevant derrière le tumulus ne peut être que celle située au nord et portant des toponymes très caractéristiques : Croix de Marlin, Roches de Marlin, Marlin...
Les Roussillon, "rois sacrés" du Jarez
D'après les textes et leur décryptage, les Roussillon, depuis au moins la conquête romaine, sont une dynastie de "rois sacrés" régnant sur un "royaume du centre" au confluent de plusieurs territoires de peuples gaulois leur reconnaissant une prééminence temporelle et surtout spirituelle. Une pareille longévité ne s'explique guère si l'on s'en tient à la version officielle voyant dans le Haut Moyen-Age un âge sombre et dans les familles régnantes des gangs de brutes épaisses. Si par contre on admet l'existence de dynasties de "rois sacrés" bénéficiant d'une autorité spirituelle car descendants - ou légataires - de véritables familles de prêtres-rois incarnant la légitimité du pouvoir, les choses deviennent brusquement beaucoup plus claires. D'ailleurs, le Père Guy Coquillat nomme les Russeolus-Roussillon "Seigneurs du monde", expression inadéquate pour des féodaux mais parfaitement justifiée pour des "rois du monde", même si le monde en question se limite aux territoires de quelques peuples gaulois.
Les Roussillon, qui par l'étymologie de leur nom sont une dynastie de rois-ours, se disaient aussi "fils de la lune". Et là nous ne pouvons que citer Paul Verdier : "Quant à la Grande Déesse, on sait qu'elle se présente sous deux avatars, car elle est la personnification de la lune : quand elle est mère et épouse, elle est Déesse de l'Au-delà surtout, et c'est la pleine lune ; elle a trois filles qui seront chacune les épouses des trois jeunes dieux ; et dans ce cas, ce sont les trois quartiers lunaires qui les représentent, c'est-à-dire, dans l'ordre décroissant de leurs naissances : le dernier quartier qui sera femme de Mars ; la nouvelle lune, la Prostituée sacrée, qui sera femme d'Apollon ; enfin le premier quartier, maîtresse de la magie et qui sera femme de Mercure, lui aussi dieu de la magie..." Si l'on se rappelle que l'une des pierres du "tombeau du roi" est dédiée à Sainte Bloe (14) et l'autre à Sainte Marguerite et à son dragon, on peut légitimement supposer que Urseolus, le roi-ours ancêtre des Roussillon, est associé, assimilé à Mars-Taranis, et donc époux de la fille de la Déesse-Mère devenue Sainte Marguerite. Sans forfanterie les Roussillon pouvaient donc se dire "fils de la Lune". Tout porte à croire que les plus importantes cérémonies au Grand Roussilla se déroulaient aux alentours de la Canicule puisque Sainte Marguerite, fille de la Déesse-Mère, est fêtée le 20 juillet, Taranis, sous son appellation chrétienne de Saint Jacques-le-Majeur, est fêté le 25 juillet et Sainte Anne, la Déesse-Mère, est fêtée le 26 juillet, le même jour que Saint Loup de Troyes.

Grande entrée de la Chartreuse
Le centre du royaume de nos rois-ours était le Grand Roussilla que nous avons identifié au site de Ste-Croix-en-Jarez et où se situait le sanctuaire sacré du "protège-pays". Ainsi le "château du Prince" veillait sur la "tombe du roi" qui assurait la protection magique du royaume central. Au cours des siècles les Roussillon n'ont jamais perdu de vue ce sanctuaire sacré, puisqu’à l'époque de Béatrix de Roussillon le site est la "propriété" d'un obligé des Roussillon et d'ailleurs celle-ci possède une maison et des terres à l'emplacement de la Chartreuse.
Il est évident qu'un sanctuaire d'une telle importance ne pouvait laisser les Romains indifférents. Tout comme les chrétiens quelques siècles plus tard, ils avaient intérêt à associer leurs divinités à celles bénéficiant en ce lieu de la faveur et de la ferveur des Gaulois. Comme l'antique sanctuaire était un lieu de rassemblement traditionnel et le siège d'importantes délibérations, il était judicieux d'asseoir à demeure l'autorité de Rome pour éviter tout débordement. Ce qui explique l'installation d'un castrum à un endroit où, à priori, rien ne le justifie autrement. A moins qu'il ne surveillât aussi l'activité minière et métallurgique de la région; Ste-Croix-en-Jarez pouvant très bien avoir été - comme son "modèle majeur" du Lendit - une étape obligée sur une route des minerais passant par les vallées du Couzon et du Gier ou, à dos d'animal, par le col de Pavezin. Il se pourrait même que la promotion de Vienne comme capitale de la Gaule viennoise soit intimement liée à l'existence de l'omphalos de Ste-Croix-en-Jarez. Les Romains avaient réussi à neutraliser - en partie et pour un temps - l'influence du Lendit en déplaçant le centre de gravité de l'omphalos des Gaules d'une dizaine de kilomètres vers le sud à Lutèce qu'ils contrôlaient, en faisant de Lyon la capitale des Gaules et en interrompant le trafic de l'étain venant d'Angleterre; il est fort possible qu'ils aient réédité la même opération avec Ste-Croix-en-Jarez en promouvant Vienne au détriment de l'antique sanctuaire qu'une vingtaine de kilomètres à peine sépare.

Le méridien qui passe par le Centre
Comme nous l'avons vu, le nom des Roussillon dérive directement de Urseolus, soit l'ours, ce qui met les Roussillon directement en rapport avec les dynasties sacrées se disant descendantes d'un ancêtre ours ou loup, comme par exemple les Lupé et les Urfé pour l'ascendance lupine, et Arthur pour l'héritage de l'ours (15). D'autre part le symbolisme de l'ours nous renvoie au méridien c'est-à-dire à l'axis mundi conduisant aux constellations de la Grande Ourse et de la Petite Ourse qui indiquent le chemin de l'Etoile Polaire, immobile pivot des cieux, Russeolus nous renvoie également à la couleur rouge, et de là au sang dont le thème est très important dans la geste gargantuine. Il faut aussi signaler qu'en cabale phonétique Roussillon est le roux (rouge) sillon, c'est-à-dire la ligne rouge, l'arcanne. « Etre dépositaire du méridien zéro, c'est non seulement flatter l'orgueil national, mais au-delà, c'est assurer symboliquement la garde du gouvernail planétaire. Le méridien zéro est pointé sur le pôle, certes comme tous les méridiens, mais avec la préséance d'un chef, comme l'aiguille de fer d'une boussole : aussi le dit-on rouge, puisque c'est la couleur symbolique du fer qu'attire le pôle. Cet axe, de surcroît, ne se limite pas au pôle terrestre : axe essentiel, il culmine au ciel en quelque sorte, puisqu'il indique la direction de la constellation polaire qui surplombe notre pôle [...]. Le fil rouge du méridien origine est donc comme le câble insécable qui amarre la Terre au pivot du ciel boréal-Cordon ombilical intersidéral de l'humanité, voilà son statut. [...] Dans le jargon des charpentiers, l'ARCANNE est la craie rouge dont on enduit une corde bien tendue pour faire un long tracé linéaire. Est-ce par ironie du hasard ou par cabale phonétique que l'arcanne (ligne rouge) du méridien origine est homonyme d'ARCANE ou secret ? » (16) 
On notera avec intérêt que cette ligne rouge en rapport direct avec le méridien nous renvoie à Sainte Roseline (là encore une ligne rouge) fêtée le 17 janvier, comme Saint Genou et Saint Sulpice dont il est inutile de rappeler qu'il fut évêque de Bourges (l'antique capitale des Bituriges, les "Rois du Monde") et que l'église parisienne qui lui est dédiée abrite un gnomon astronomique marquant le passage du méridien de Paris et joue un rôle non négligeable dans l'affaire de Rennes-le-Château. Puisque nous en sommes à errer d'omphalos en omphalos le long de méridiens, ajoutons quelques petites curiosités à notre répertoire d'improbables coïncidences. Ainsi la Chartreuse de Ste-Croix-en-Jarez est à 4° 40 de longitude est du méridien de Greenwich. Le méridien de Paris est lui parfaitement équidistant au méridien de Ste-Croix puisqu'il se situe à 2° 20 est du méridien anglais. Et le long du méridien de Greenwich on trouve Lusignan, la terre de Mélusine, qui fut élevée sur l'île de Man-Avalon, "au nombril de la mer". Sa soeur Palestine garde le trésor de leur père, le roi Elinas, sur le mont Canigou, à quelques encablures du méridien de Paris. Et son mari Raymondin, un "roi du monde" si l'on en juge par son nom, est le fils d'Hervé de Léon, dont le "royaume" en Basse-Bretagne s'organisait autour de l'île Dumet, au large de Piriac-sur-Mer, île de 8 hectares habitée uniquement par les oiseaux mais aussi - et surtout ! - le pôle continental des terres émergées, le "nombril du monde"...

Etude du blason de Ste-Croix-en-Jarez
L'étude des symboles contenus dans ce blason va nous permettre de confirmer indirectement certaines de nos affirmations concernant notre assimilation Grand Roussilla-Ste-Croix-en-Jarez et nous faire faire quelques découvertes supplémentaires.
Commençons par le haut. La croix, est-il besoin de le rappeler, est, par excellence, le symbole de l'axe du monde (17). Ici il s'agit du "méridien" passant par l'omphalos de Ste-Croix. En effet, notre axis mundi indique l'arcanne, la "ligne rouge", le "roussillon" entre les 7 étoiles, c'est-à-dire la Grande Ourse. Ainsi l'étoile au-dessus du montant vertical de la croix est l'étoile Polaire, le pivot immobile autour duquel tourne l'univers, et la Terre est symbolisée par le globe. Le symbole se fait encore plus précis avec la figure circulaire située sous le globe. Le détail "métallurgique" du blason (18) va nous aider. Que voit-on ? Une croix dentelée tracée dans un cercle. Un rond marque le centre de la croix. Nous avons là, dans sa remarquable simplicité, le symbole d'un omphalos : quatre "royaumes" occupant les quatre directions de l'espace se rejoignant et se fondant au centre en un cinquième royaume, le royaume central des rois-ours. Sous la croix cerclée on voit une tête. Il s'agit de la tête du protège-pays, du héros-roi divinisé. Ainsi la tête de Cûchulainn veille sur le tertre sacré de Tara, comme la tête de Bran le Bienheureux enterrée sur une colline au bord de la Manche protège l'Angleterre des invasions. C'est aussi Saint-Denis, premier évêque de Paris, martyr, saint céphalophore et surtout, saint protecteur du royaume et de la dynastie royale, "substitut" chrétien du mundgawi païen.
Une lecture chrétienne du blason est tout aussi possible, ne contredit en rien la précédente et apporte un nouvel éclairage. Ainsi la croix, symbole du supplice du Christ souffrant, est aussi l'axe autour duquel tourne le monde. Et le Christ, symbolisé ici par la croix, médiateur entre le Ciel et la Terre, a autorité sur les deux. Comme il est inutile de revenir sur la symbolique chrétienne du nombre 7, passons directement à la croix dentelée cerclée. Elle nous renvoie au paradis terrestre que le royaume central, l'omphalos, était sensé recréer à son niveau humain et historique. L'Eden était circulaire et traversé par quatre fleuves que représentent ici les branches dentelées de la croix. Quant à la tête, c'est celle d'Adam, l'Homme primordial, car la croix du supplice s'élève sur le Golgotha, la montagne du crâne traditionnellement désignée comme étant la sépulture du premier homme. Un passage par la Kabbale et l'arbre des Séphiroths nous permet ainsi d'aller de Malkut - le Royaume paradisiaque de l'Adam d'avant la Chute - à Kether qui est la Couronne, couronne d'étoiles de la Vierge mère du Christ et porte du paradis céleste.

Dominique Setzepfandt
1 : Pour l'étude des thèmes propres à Gargantua nous conseillons aux lecteurs intéressés de se reporter aux ouvrages de Henri Dontenville "La France mythologique" Editions Veyrier, Paris 1980 et de Guy-Edouard Pillard "Le vrai Gargantua" Editions Imago, Paris 1987 qui offrent la meilleure étude à ce jour sur la question.
2 : Sur l'identité colombe-fée nous renvoyons le lecteur à l'ouvrage de Guy-Edouard Pillard "La déesse Mélusine" Hérault-Editions 1989.
3 : Et par sens il faut également comprendre axe, alignement géométrique de points caractéristiques du paysage, aussi bien naturels (hauteurs, chaos rocheux) qu'artificiels (mégalithes), en fonction d'événements astronomiques (solstices, équinoxes, levers héliaques) qui assurent ainsi une correspondance entre la Terre (microcosme) et le Ciel (macrocosme). Gargantua n'est pas un Créateur, mais un Conservateur; même si pour cela il crée de toutes pièces (mais avec des éléments préexistants) un nouveau cadre et qu'il en assure la sauvegarde en détruisant tout ce qui peut nuire à sa pérennité (géants, monstres, fauves).
4 : Voir "Eléments du passé de Sainte-Croix-en-Jarez chartreuse pour servir à son histoire" d'André Douzet, chez l'auteur 1994. Afin de ne pas alourdir notre exposé nous renvoyons à cet ouvrage pour toutes les descriptions du site du Grand Roussilla et de Sainte-Croix-en-Jarez.
5 : Concernant le rôle d'omphalos des montjoies voir le livre d'Anne Lombard-Jourdan : "Montjoie et Saint-Denis. Le centre de la Gaule aux origines de Paris et de Saint-Denis" Presses du CNRS, Paris 1989.
6 : Voir l'étude de Paul Verdier "La Canicule : célébrations celtes de la fin de juillet" dans le numéro triple 147-148-149 d'octobre-décembre 1987 du Bulletin de la Société de Mythologie Française.
7 : Geoffroy de Monmouth "Histoire des rois de Bretagne" Les belles Lettres Paris 1992.
8 : Douzet op. cit. page 48.
9 : Lot donne comme capitale des Veltaves Ruessio, ce qui nous fait irrésistiblement penser à Russeolus/Roussillon.
10 : Douzet op. cit. page 47.
11 : "Le Roi Arthur" Editions Fayard, Paris 1991.
12 : Douzet op. cit. page 50.
13 : Douzet op. cit. p 47.
14 : Bloi, comme le diminutif bloet, signifiait à la fois "blond et jaune" (ce qui introduit un rapport avec l'ours et l'Homme Sauvage) et "bleu ou noirâtre".
15 : Et du dragon par son père Uther Pendragon et sa nièce Mélusine. Nous reviendrons une prochaine fois sur ces dynasties sacrées descendantes d'un animal totem pour démontrer les liens étroits entre les Urseolus du Jarez et la famille de Mélusine d'Avalon. A notre petit bestiaire s'ajouteront alors l'épervier et le sanglier autres symboles du Pôle et de la Connaissance primordiale. 
16 : Patrick Ferté "Arsène Lupin, Supérieur Inconnu" Editions Guy Trédaniel, Paris 1992.
17 : Voir de René Guenon "le symbolisme de la croix" Editions Guy Trédaniel, Paris 1984.
18 : Douzet op. cit. p 224.

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